En train de crouler sous les paperasses de son bureau, Hera ne pouvait s'empêcher d'ouvrir l'oreille pour écouter ses collègues passant dans le couloir avec encore et toujours le même sujet à la bouche. Ce dernier se résumant au bal de ce soir. Grand bal masqué réservé à la haute société qu'avait organisé le maire Park. Il n'y avait pas de doutes sur le fait qu'une simple procureur comme la jeune Yun n'y serait pas invitée. Dommage, elle aurait bien aimé y aller. Pas qu'elle aimait se pavaner dans de belles robes ou encore moins se comporter et parler avec grâce, Hera voyait juste une opportunité pour se faire des nouvelles relations bien placées concernant l’enquête de son frère. Et puis, cela faisait un bout de temps qu'elle n'avait pas mis le nez en dehors de son travail, redevenir quelque peu sociable ne lui ferait pas de mal. Bref, la petite brune comptait bien y aller malgré son statut. Quand elle a une idée en tête, elle ne l'a pas ailleurs.

C'est après une longue journée de travail que la jeune femme fit les boutiques pour se trouver une robe dont le prix n'était pas trop exorbitant mais qui faisait tout de même classe. Elle ne comptait pas se ruiner pour un bal de riches et de gosses de riches, ça non ! Étant donné le monde qu'il y allait avoir, Hera était confiante pour réussir à y entrer. Suffisait de s'incruster dans une petite foule et de se faufiler dans le château et hop, le tour était joué ! Pour une fois, elle trouvait un avantage à être petite.

Habillée d'une robe en dentelles assez fluide de couleur bleu marine, Hera s’avança lentement vers le château où une foule incroyable attendait. Elle avait pris soin de mettre un masque arlequin blanc aux traits raffinés et d'attacher ses cheveux en un chignon dont quelques boucles rebelles s'échappaient négligemment histoire de changer de son style habituel. Qui sait si quelqu'un viendrait à la reconnaître. L'ancienne fille de ferme se sentait tâche dans ce monde hautain. Elle qui avait l'habitude de jurer à tout bout de champ comme un bourrin allait devoir changer ses habitudes le temps d'une soirée. Son plan marcha comme sur des roulettes, après s'être faufilée dans un groupe de plusieurs jeunes femmes toutes aussi classes les une que les autres, Hera réussit à entrer dans le château. Elle trouva plutôt original l'idée d'avoir un partenaire lors de la soirée. Après avoir pioché le numéro huit, elle décida de partir à la recherche de ce dernier, sans vraiment savoir où aller.

« Merde ! » Et voilà, première bourde. Hera venait, sans faire exprès, de marcher sur le pied d'un serveur qui ne broncha pas, heureusement. Ils étaient bien payés pour cela de toute façon. A force de de tournicoter dans tous les sens pour trouver son partenaire, la jeune femme se mettait à bousculer un peu tout le monde sur son passage. Elle qui voulait se faire discrète...raté. Hera se sentait vraiment comme un éléphant au beau milieu d'un magasin de porcelaine dans ce château. C'était comme si sur son visage se peignait de grandes lettres disant « p a y s a n n e ». Ou était-elle juste un chouilla paranoïaque ? Finalement, elle vit enfin quelqu'un se diriger vers elle, par chance ils avaient le même numéro. Dès le premier instant Hera sentit que ce personnage, lui, n'avait pas du frauder pour atterrir à cette soirée. A l'entendre, ce dernier n'avait pas l'air très enthousiaste d'être ici. Ou peut-être s'attendait-il à un autre partenaire.  « Vous ne semblez pas avoir l’habitude de ce genre de bal. Je me trompe ? »

Quoi ? L'avait-on déjà démasquée ? Pourtant, Hera pensait avoir joué le rôle de la fille classe bien comme il faillait. Sans mentionner l'épisode du serveur évidemment...Ah les riches et leur sens pour voir ceux qui font parti de leur catégorie ou non, c'est bien une chose qui étonnera toujours Hera ! Elle prit non sans délicatesse un verre de champagne alors qu'un serveur passait et but plusieurs gorgées d'une traite avant de répondre d'un air faussement décontracté. « Oh, c'est juste que je n'aime pas trop être entourée de monde. » Trouva-t-elle comme excuse, en espérant que cela suffisse. « Mais ce bal m'a l'air de valoir la peine d'y aller. » Conclut la jeune femme avec un léger sourire. Aish, c'était bien dur de parler de la sorte ! Distinctement, d'un ton calme posé et raffiné...l'ancienne campagnarde avait plus l'habitude de mâcher ses mots, de parler vite sans oublier d'ajouter quelques grossièreté. Alors qu'un silence gênant allait s'installer, Hera se chargea d'engager la conversation. « Alors, hum...que faites-vous dans la vie ? » Sa question fut légèrement hésitante, la jeune femme avait un peu de mal à s'imposer alors qu'elle sentait plusieurs regards jugeurs la détailler de la tête aux pieds.

Peut-être aurait-elle du rester à la maison ? La compagnie de tous ses papiers pour le boulot semblaient déjà moins froid que celle de son partenaire de la soirée. Dans sa vie – surtout depuis qu'elle vivait à Séoul – Hera en avait rencontré pas mal des gens faux et hypocrites et il ne fallait pas y réfléchir deux fois pour dire que celui en face d'elle n'échappait à cette catégorie. La jeune femme, en temps normal l'aurait déjà remis à sa place sans aucun ménagement mais l'endroit où elle demeurait à présent l'empêchait de prendre ce genre d'aise. Elle n'avait pas spécialement intérêt à se faire remarquer malgré le masque sur son visage. Si par malheur un de ses collègues ou voir même son patron la surprendrait en train de s'énerver sur ce gosse de riche, ils la reconnaîtraient immédiatement à sa manière de parlé façon poissonnière lorsqu'elle s'énerve. D'ailleurs, il fut dur pour Hera de se retenir de lui balancer le reste de son champagne à la figure de son interlocuteur face à sa remarque sur sa façon de boire quelques instants auparavant. Tch ! On allait tout de même pas lui apprendre à boire bon sang ! La procureur déglutissait, comme pour essayer de noyer sa rage naissante. Par moment, elle ne pouvait s'empêcher de le dévisager derrière son masque.

« Je suis danseur classique. » Hera ne fut pas tellement étonnée, même si elle l'aurait plus imaginé dans un métier concernant l’argent. Comme un huissier par exemple. Oui, il avait vraiment une tête de huissier. Le genre de gars qui vous prend tous vos biens tout en vous souriant. Évidement, il lui retourna la question. Hera ne pouvait plus mentir ou sortir une ânerie du style « Je suis ambassadrice d'une grande marque de cosmétiques » d'une voix pompeuse et fausse. Hésitante, elle se contenta d'abord de balayer son regard un peu partout dans l'espoir que l'inspiration lui vienne avant que le jeune homme ne continue à parler.

« Vous ne devriez pas hésiter ainsi. Vous êtes masquée : personne ne saura qui vous êtes, de toute façon. Laissez-vous aller un peu… tout en essayant d’avoir l’air distinguée. » Pour une fois, Hera ne sentit pas trop d'hypocrisie dans sa voix. Il la prenait peut-être de haut mais il n'en avait pas moins raison dans ses propos. Finalement, elle se décida à dire la vérité. Qui sait, il y avait peut-être pire qu'elle à cette soirée. « Pour être franche, je suis procureur. Ce n'est pas les froufrous et les chichis qui m'ont attirés ici, j’espérais juste trouver quelqu'un pouvant m'aider sur une affaire. » Répondit-elle alors avec une pointe d’amertume dans la voix. « Aish, l'espoir fait vivre ! J'ai l'impression de plus perdre mon temps qu'autre chose ici. » Finit par ajouter Hera, parlant surtout pour elle-même.

A nouveau, Hera se sentait jugée. Allait-il encore trouver un pique à redire ? La jeune femme espérait que non, parce que ses nerfs, déjà à vif, ne risqueraient pas de le supporter. Néanmoins, ce fut un poids en moins d'avouer sa vraie condition sociale. Elle n'aurait plus à jouer la mijaurée. De toutes façons, ce rôle ne lui allait pas du tout. Après un moment de silence où la réflexion de son partenaire était palpable, ce dernier prit enfin la parole. Sans surprise, son avis sur la question était sans réel optimisme. « c’est un peu comme chercher une aiguille dans une botte de foin. »  Ce n'était pas la première fois qu'on lui disait ça, Hera l'entendait à toutes les sauces depuis ses débuts dans le métier et à chacune de ses affaires. Mais la jeune femme comptait bien mettre toutes les chances de son côté pour avancer, aussi infimes pouvaient-elles être. Si cela pouvait l'aider ne serait-ce que d'avancer un minimum sur l'affaire, Hera restait preneuse.

« Ce n'est pas une piste que je cherche mais plutôt une personne bien placée pour m'aider à faire avancer l'affaire. Elle risque d'être classée si ça n'avance pas et une simple procureure comme moi ne pourra pas empêcher ça. » Expliqua-t-elle avec conviction. C'est toujours dans ce genre de soirées huppées qu'on peut trouver de bons contactes. Hera n'avait pas mis longtemps à comprendre cela en arrivant à Séoul, c'est pourquoi elle ne perd pas d'occasions pour s'y incruster. « Avec ces masques, vous n’avez assurément pas choisit votre soirée, madame la procureure. »  Un point pour lui. Hera ne pouvait pas le nier, elle aurait pu trouver mieux comme soirée. Mais d'un côté l'idée d'être masquée ne la dérangeait pas autant pour aborder les gens, c'était plutôt cette histoire de partenaire qu'elle n'avait pas vu venir et qui lui mettait un sacré bâton dans les roues. « Je pense quand même que je n'aurai pas eu de problèmes pour faire quelques rencontre. Mais le maire en à visiblement décidé autrement en nous donnant un partenaire... » Déclara la jeune femme en masquant sa déception.

Il est évident qu'en partant sur une conversation de ce genre, tout être humain munit d'un minimum de curiosité finirait par vouloir en savoir plus. C'est pourquoi Hera ne fut pas étonnée quand son interlocuteur l’interrogea dessus. La jeune femme a toujours gardé un stricte code en ce qui concernait ses affaires, surtout quand celle-ci la concernait personnellement. Malgré cela, elle ne voulait pas être impolie en revoyant son partenaire sur les roses. Pour être à l'aise pour en parler, le jeune homme guida Hera vers un endroit de la salle plus propice, non loin du balcon. « Nous serons plus tranquilles ici. Je dois avouer que je n’ai aucune idée de l’intérêt que l’organisateur porte à… jouer les entremetteurs, dirons-nous. » La procureure ne put qu'acquiescer. Après un petit instant de réflexion, elle se décida à parler. « C'est assez compliqué et il va de soit que je ne peux pas aller dans les détails... Cette affaire concerne un groupe de prêteurs sur gage accusé de meurtre. Mais il n'y a pas beaucoup de pistes...ils ont beau êtres jeunes ils n'en sont pas moins malins ces voyous. » Finit-elle par dire avant de boire une gorgée de champagne, cette fois-ci moins sauvagement qu'avant. « Le meurtre en question est celui de mon frère. Ce qui veut dire que ne peux pas m'occuper officiellement de cette affaire étant donné qu'il fait parti de ma famille, du coup je m'en charge secrètement. Comme je l'ai dit, c'est compliqué... » Hera soupira tout en regardant ailleurs. Parler de cette affaire à haute voix lui faisait réaliser au combien elle était difficile à mener.